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La cognition animale au carrefour de l’éthologie et de la psychologie

La cognition animale au carrefour de l’éthologie et de la psychologie
Nous savons que les singes s’épouillent, les lionnes chassent, les oiseaux chantent, les castors bâtissent, les abeilles communiquent et les araignées tissent. Ces activités traduisent les relations qu’un animal entretient avec son milieu physique et social. Ces diverses mœurs animales ont été décrites par les biologistes et les psychologues sous forme de comportements. Mais l’étude des interactions de l’animal avec son milieu ne peut pas s’arrêter là : il faut aussi prendre en compte la perception que cet animal se fait des situations rencontrées ainsi que les émotions qu’il éprouve à leur sujet.

La cognition pour mieux comprendre les animaux

Comment les animaux se représentent-il l’espace et le temps ? De quelles capacités mnésiques disposent-t-ils pour fixer les événements passés ? Qu’est-ce pour eux qu’un objet, leur corps, un congénère ? Pour dire les choses simplement, « qu’ont-ils donc dans la tête ? » quand ils se livrent à des activités. Ont-ils conscience de leurs activités ? Poursuivent-ils des buts ? Ont-ils des intentions, des désirs ? Possèdent-ils des croyances sur le fonctionnement du monde et les états subjectifs de leurs congénères ?

L’étude des animaux a longtemps privilégié la description de comportements au détriment d’aspects fonctionnels, plus difficiles à objectiver. Ce n’est en effet qu’indirectement que les capacités cognitives, les émotions des animaux peuvent être inférées. La réponse à ces questions est essentielle pour mieux comprendre les animaux et par ailleurs les origines de la pensée humaine. 

Les théories évolutives de Darwin (1871) invitent à rechercher la continuité entre l’humain et le reste des espèces animales non seulement dans le domaine de la morphologie et de la physiologie, mais aussi dans celui du comportement, et de ce que Darwin appelait les « facultés mentales ». Si des discontinuités évidentes doivent être notées parmi le règne animal, des éléments de continuité, y compris dans les domaines du langage et de l’outil, où le privilège de l’humain semblait absolu, sont maintenant admis. Les sciences humaines ont comme tradition d’insister sur les capacités émergentes dont le langage fait partie. Cependant, pour un évolutionniste, psychologue ou biologiste, la continuité des comportements, des émotions, des fonctions cognitives, doit être interrogée pour tenter de comprendre l’origine phylogénétique des processus qui sont en œuvre chez l’humain.

Béhaviorisme et éthologie

Dans les années 1950, un grand débat a été engagé à propos du comportement et des apprentissages. Il a opposé les psychologues béhavioristes et les éthologues objectivistes. Les béhavioristes, issus des sciences humaines, proposaient un modèle universel qui ne nécessitait pas l’étude des états mentaux pour expliquer le développement par apprentissage des comportements. Les liens stimuli-réponses (S-R) s’établissent sous l’effet de renforcements positifs ou négatif). Un rôle capital est accordé au milieu dans le déterminisme des comportements par le biais de systèmes de récompenses-punitions. L’animal, confronté au problème de la recherche de nourriture, verra récompensées certaines de ses actions (celles qui lui permettent d’atteindre son objectif, la nourriture), alors que certaines autres seront punies ou non récompensées (celles qui le conduisent à échouer dans cette recherche de nourriture). Au fil de ses expériences, l’animal apprendra, par essais et erreurs, en présence de certains stimuli, les comportements (réponses) qu’il doit produire pour parvenir à ses fins. Selon les circonstances rencontrées, il développera tel type d’association plutôt que tel autre.


Selon ce modèle d’apprentissage, l’animal est considéré comme une page blanche sur laquelle vient s’inscrire l’histoire des stimuli-réponses récompensés ou punis. Les comportements d’un individu ne seraient ainsi qu’un produit de son histoire particulière, singulière. En maniant habilement récompenses et punitions, un expérimentateur pourrait faire apparaître, ou disparaître, des comportements à sa guise. Ces idées ont conduit les auteurs à postuler plasticité et variabilité du lien stimulus-réponse (S-R) sous l’effet des renforcements. 

Si l’éthologie, issue de la biologie, tente également de mettre en évidence des phénomènes mentaux chez les animaux, l’histoire de ces deux disciplines n’a cependant pas emprunté les mêmes voies. L’éthologie moderne privilégie les recherches sur les états mentaux qui accompagnent la vie de relations que les animaux entretiennent avec leur milieu physique et social. Dans ce contexte, le comportement et la cognition sont considérés principalement comme des stratégies adaptatives qui permettent aux individus d’augmenter leurs chances de survie et de succès reproducteur. Le souci est fortement écologique dans l’approche de l’éthologie cognitive.


Les éthologues étudient alors la diversité des solutions que les organismes ont trouvées pour résoudre des problèmes similaires. Ils se distinguent de l’approche généraliste des psychologues et, singulièrement, de ceux qui étudient la cognition. Les préoccupations de ces derniers les ont conduits à réaliser des comparaisons « trans-espèces » afin de détecter et d’expliquer les mécanismes généraux mis en œuvre dans des situations différentes.

Ainsi, les objectifs principaux de l’éthologie cognitive sont de découvrir si des espèces animales, parfois éloignées sur le plan phylogénétique, structurent l’information puisée dans l’environnement de façon semblable. Les comparaisons servent, alors, à établir l’identité de traits cognitifs au sein des différentes espèces.

Psychologie animale et étude de la cognition

Sous l’influence des théories de l’information, la psychologie cognitive humaine constitue déjà une psychologie comparée de l’homme et de la machine. Aussi, son extension à l’étude des animaux non-humains a été aisée. Le sujet d’étude (qu’il soit humain ou d’une autre espèce) est conçu comme un extracteur, un calculateur d’informations et un générateur d’inférences, depuis les niveaux les plus élémentaires de l’intégration sensori-motrice jusqu’aux activités complexes comme la résolution de problèmes et le raisonnement.

L’étude contemporaine de la cognition animale recourt, d’ailleurs, de façon délibérée à des métaphores selon lesquelles l’animal connaît en transformant de l’information et en prenant des décisions. La psychologie cognitive a intégré la rigueur méthodologique développée par le béhaviorisme et les concepts cognitivistes comme celui de représentation.

Le psychologue contemporain de l’animal ne se cantonne plus à une manipulation de stimuli et de réponses ainsi que des contraintes de renforcement. Il procède généralement en deux étapes. Premièrement, il installe, en s’aidant d’une procédure classique de renforcement, une réponse chez un animal en fonction d’un stimulus ou d’une catégorie de stimuli. En second lieu, et c’est là son originalité, il teste le transfert de la réponse acquise à de nouveaux stimuli. Pour s’assurer que l’animal a bien acquis un comportement qui relève d’un fonctionnement cognitif, les tâches de transfert doivent, outre le caractère de nouveauté du stimulus, respecter certains critères comme l’absence de renforcement différentiel, ou encore la prise en considération de la seule première réponse au stimulus nouveau.

À partir des performances recueillies dans les tests de transfert, il est ainsi possible d’éprouver la solidité des acquisitions de l’animal et d’inférer le degré d’abstraction et de généralisation cognitive de tels transferts.


Les tendances actuelles en éthologie cognitive

Les recherches actuelles en éthologie cognitive sont marquées, d’une part, par le souci d’insérer les comportements étudiés dans un cadre adaptatif et, d’autre part, de relier les comportements mis en œuvre par les animaux avec leur substrat nerveux.

Pour ce qui est du premier point, des recherches ont été conduites depuis 1990 avec l’objectif de détecter les sources évolutives des processus cognitifs. Dans ce champ de la psychologie évolutionniste, des travaux spectaculaires ont mis en évidence par exemple l’existence chez les primates de compétences numériques spontanées.
L’hypothèse de travail proposée par Darwin sur la continuité mentale entre espèces est adoptée (souvent plus implicitement qu’explicitement) par la grande majorité des psychologues travaillant sur l’animal. 

De nombreux chercheurs se réclament aujourd’hui de l’éthologie cognitive. On compte aussi un grand nombre d’éthologues convaincus que leur champ de recherche ne consiste plus seulement à établir des éthogrammes descriptifs du répertoire comportemental d’une espèce et à s’intéresser exclusivement aux patrons d’actions fixes, mais dont l’objectif est de comprendre les états mentaux des animaux, le « mind » animal.

Cette variété fait que le label « éthologie cognitive » recouvre en réalité un vaste champ de recherches en rapport avec l’apprentissage et la cognition en général, des études sur le comportement social ou, encore, d’autres focalisées sur la recherche de manifestations d’une forme d’intentionnalité ou de conscience chez les animaux. L’éthologie cognitive a tout intérêt à s’ancrer fermement dans les sciences cognitives.

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Publié le 14 11 2025

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